Chalutage profond
- Le 25/08/2014
- Dans Eco
Les océans profonds, définis par les océanographes comme la zone s’étendant au-delà de 200 mètres de profondeur représentent à eux seuls 98% de l’espace dans lequel la vie peut se développer sur terre. Le milieu profond est très mal connu de la science et quasiment inexploré. Les océans profonds avaient été jusqu’ici épargnés des perturbations humaines mais ils sont dorénavant exploités à échelle industrielle, et ce depuis plus de 30 ans, alors qu’ils ne peuvent pas et ne devraient pas l’être, pour une raison simple : leurs caractéristiques biologiques ne le permettent pas. La faune profonde est caractérisée par une longévité extrême (bien souvent supérieure à 100 ans), une croissance lente, une maturité sexuelle et une reproduction tardives, une fécondité faible et une résilience globalement réduite : autrement dit, les poissons profonds sont les éléphants des océans. Comme pour les troupeaux d’éléphants, la biomasse des poissons profonds peut être importante à certains endroits, mais les premières captures suffisent parfois à décimer un stock pour plusieurs décennies ou siècles…
La pêche profonde résulte directement de l’épuisement des ressources marines dans les eaux de surface. Après avoir surexploité les stocks de poissons en surface, les flottes de pêche industrielles se sont tournées vers les grands fonds pour trouver la ressource qui leur faisait défaut. Cette logique inexorable de la surexploitation des ressources et de la destruction des milieux connaît un épisode particulièrement douloureux dans les grandes profondeurs car là, plus que n’importe où, existe un contraste violent entre l’immense efficacité technologique de l’outil industriel et l’excessive vulnérabilité de la faune et de l’environnement. La pêche en eaux profondes met en jeu le monde de la rapidité contre celui de la lenteur, le profit à court terme réservé à quelques uns contre le bénéfice à long terme pour tous.
Les océans profonds sont devenus le théâtre de la plus grande tragédie des communs de notre temps. Il y a urgence à protéger des milieux dévastés de façon irréversible par des navires qui ressemblent plutôt à des machines de guerre (plusieurs avions peuvent loger dans certains filets utilisés). Ce drame écologique n’a comme équivalent que la déforestation de l’Amazonie.
Les pêches en eaux profondes se réalisent majoritairement avec des chaluts profonds, c’est-à-dire d’immenses filets de pêche lourdement lestés qui râclent le fond des océans jusqu’à 2000 mètres de profondeur et ne laissent que désolation dans leur sillage. Moins de 300 bateaux à travers le monde participent à cet « océanocide » pour capturer quelques poissons à forte valeur commerciale mais ils anéantissent de façon irréversible des colonies de coraux vieilles de 10 000 ans, patrimoine naturel mondial de l’humanité.
Les écosystèmes profonds sont les « victimes parfaites » : éloignés des yeux, des cœurs, isolés, muets, ils sont dévastés par les chaluts profonds sans disposer de moyens de défense ni de témoins…
BLOOM a décidé de donner une voix à ces laissés-pour-compte de l’agenda environnemental mondial. La préservation des profondeurs océaniques est une urgence impérieuse, le sujet de préoccupation d’une poignée d’environnementalistes dans le monde mais de nombreux chercheurs ainsi que d’un nombre heureusement croissant de citoyens. Elle est le combat prioritaire de l’association BLOOM depuis sa création. L’association a dès son origine soutenu la publication du livre ABYSSES de Claire Nouvian (Fayard, 2006) et la création de l’exposition éponyme au Muséum national d’Histoire naturelle en 2007 de façon à faire sortir de l’ombre ces milieux marins aussi fascinants que fragiles.
Engagée auprès des décideurs et du public, de l’ONU aux écoles de France, BLOOM s’appuie sur les très nombreuses études et parutions scientifiques démontrant la non durabilité des pêches profondes ainsi que leur immense destructivité.
Le chalutage profond a été unanimement reconnu par la communauté scientifique comme une aberration écologique pourfendant tous les principes de préservation de l’environnement, de partage équitable du bien commun entre nationset comme une entorse au principe de précaution. Seul le fait que ces pêches soient apparues historiquement dans un contexte de béance juridique internationale et d’ignorance scientifique les a rendues légales, mais en aucun cas légitimes.
Pour rappel, 1136 chercheurs ont signé en 2004 une pétition demandant à l’Assemblée Générale des Nations Unies un moratoire sur le chalutage profond.
Le chalutage profond est un non-sens historique qui peine à prendre fin, d’une façon inversement proportionnelle à la charge d’arguments qui pèsent contre lui.