Tipping Point # 2
- Le 10/08/2021
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Un courant océanique majeur de l'Atlantique se détraque et c'est inquiétant pour le vivant
Comme je l'ai évoqué récemment dans un billet publié sur ce blog, nous sommes entré dans la limite du supportable en émissions du CO2 et à ne pas dépasser pour rester en vie. Les mesures effectuées au mois d'avril dernier à l'observatoire de Mauna Loi à Hawaii nous alertent sur les dernières évolutions des GES* générant un réchauffement climatique indéniable. Une nouvelle étude parue jeudi 5 août dans la revue Nature Climate Change alerte sur un autre phénomène primordial à notre survie. Il s'agit du courant marin, qui joue un rôle de thermostat au niveau du climat mondial qui est en train de se détraquer. La circulation méridienne de retournement Atlantique dite Amoc, souvent confondue avec le Gulf Stream, est un ensemble complexe de la circulation de l'eau dans l'océan Atlantique. En fonction de sa salinité, de sa masse, de sa densité ou encore de sa température, l'eau se déplace différemment dans ce vaste système, générant un flux jusqu'alors stable et constant. En transportant d'énormes quantités d'eau de la surface aux profondeurs et inversement, l'Amoc contribue à réguler le climat tel que nous le connaissons.
Mais depuis les années 1960, ce flux s'est considérablement affaibli, atteignant son niveau le plus faible depuis un millénaire et la dégénérescence de sa stabilité est causée par le réchauffement climatique. Cet arrêt progressif aura des conséquences environnementales désastreuses à travers la planète et le point de non-retour risque d'être franchi dans peu d'années à venir. La circulation méridienne de renversement Atlantique est l’un des principaux systèmes de courants océaniques de notre planète. Il transporte les eaux de surface chaudes des Caraïbes vers l’Atlantique nord, et rapatrie l’eau froide dans le sens inverse. Ce tapis roulant géant répartit la chaleur reçue du soleil et influence les climats dans de nombreuses régions du monde. Mais la fonte des glaces au Groenland ou en Arctique brouille ce système de renouvellement au Nord. Les calottes glaciaires apportent de l'eau douce au courant, moins dense que l'eau salée, qui a pour conséquence de ralentir le tapis roulant, sans être la seule raison de ce ralentissement. L'effondrement de l'Amoc constitue ce que les experts du climat appellent un "seuil de rupture" ("tipping point" en anglais), à savoir un moment où le climat basculerait soudainement et de manière irréversible dans un état complètement différent de celui que nous connaissons. Les conséquences de cette bascule seraient en effet immenses. Les températures seraient fortement impactées dans l'hémisphère nord, avec une augmentation du nombre de tempêtes, tandis que le niveau de l'océan Atlantique connaîtrait une forte hausse. Les moussons en Afrique et en Amérique du Sud se déplaceraient, exposant encore davantage de populations à d'importantes sécheresses. Cela provoquerait aussi une perturbation des écosystèmes marins et une baisse de production de tous les produits de la mer ainsi qu'une baisse de l'absorption du CO2, et donc une hausse de la concentration de ce gaz dans l'atmosphère, puis une accélération de la montée de la température sur terre ferme et une hausse de la température des océans. Soit une accélération du changement climatique. Parce qu'il absorbe et stocke la chaleur beaucoup plus efficacement que les terres et l'atmosphère, l'océan s'est considérablement réchauffé au cours des 50 dernières années en raison des émissions de gaz à effet de serre d'origine anthropique, relève Météo France. Or, cela a "des conséquences sur les propriétés et la dynamique de l'océan, sur ses échanges avec l'atmosphère et sur les habitats des écosystèmes marins", note l'institut. Outre cette hausse de la température des océans, l'arrivée massive d'eau douce, plus légère que l'eau salée issue de la fonte des glaces, là aussi causée par le changement climatique, perturbe la circulation des flux marins et provoque une hausse du niveau côtier. Ces résultats soutiennent l'évaluation selon laquelle le déclin de l'Amoc n'est pas seulement une fluctuation ou une réponse linéaire à l'augmentation des températures, mais signifie probablement l'approche d'un seuil critique au-delà duquel le système de circulation pourrait s'effondrer. C'est ce que craignent les scientifiques, le ''point de basculement'', celui de non-retour qui apportera donc des conséquences désastreuses irréversibles. Tout le vivant est concerné par le réchauffement terrestre et océanique.
Nous disposons depuis une trentaine d'années d'indicateurs de suivi extrêmement précis, rigoureux, qui nous permettent d'avoir du recul sur le déclin d'un certain nombre d'espèces, qu'il s'agisse de mammifères, d'oiseaux, d'insectes ou de plantes. Et le constat est sans appel. Sur environ 2 millions d'espèces décrites et 10 millions supposées, entre 500.000 et 1 million sont menacées d'extinction dans les prochaines décennies, y compris en Europe a alerté en 2019 la plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), l'équivalent de ce qu'est le Giec pour le climat. Les populations d'oiseaux des campagnes françaises, comme les alouettes, perdrix ou tourterelles des bois, ont chuté d'un tiers en quinze ans. Depuis l'époque romaine, seuls 5 % environ des espèces ont réellement disparu, comme le dodo ou le loup de Tasmanie. Alors que lors de chacune des cinq grandes crises de la biodiversité du passé géologique, 80 % des espèces avaient disparu. On pourrait donc se dire que nous sommes loin du compte, que nous avons le temps. Hélas, non, nous n'avons pas le temps, car la crise actuelle est cent à mille fois plus rapide que celles du passé, sa vitesse est inédite. Nous ne savons pas exactement quand les écosystèmes vont basculer, ni vers quels nouveaux équilibres ils basculeraient, car le vivant n'est pas une machine, donc il n'est pas prédictible. On sait qu'il y a des effets de seuil, on sait qu'il ne faut pas les dépasser, mais on ne sait pas où ils sont. On sait que si l'on détruit la moitié ou les trois quarts de la forêt amazonienne, cela bouleversera son équilibre au point qu'elle se transformera en savane, voire en un désert comme celui du Sahara, où plus rien ne pousse, sans retour en arrière possible. Mais on ne sait pas si le point de bascule se situe à la moitié ou aux trois quarts de destruction. Nous sommes encore à l'aube d'une crise majeure, mais les heures défilent très vite et nous devons prendre garde à ne pas dépasser certains seuils. Il est temps d'agir, mais sans perdre un instant. Ne serait-ce que pour notre propre survie. En effet, je n'ai aucune inquiétude pour l'avenir de la vie sur Terre, mais pour celui de l'homme, oui. Il faut bien prendre conscience que nous ne sommes rien sans la biodiversité, sans ce tissu vivant de la planète dont nous faisons d'ailleurs partie. Nous sommes dépendants des services écosystémiques qu'elle nous rend : on ne se nourrit que du vivant, on ne peut pas digérer sans les bactéries intestinales, on respire grâce au plancton et aux végétaux. Nous sommes sur une fenêtre physiologique extrêmement étroite, très adaptée aux conditions de la planète d'aujourd'hui, pas forcément à celles de demain. Si le plancton océanique basculait dans un autre équilibre et cessait de nous fabriquer de l'oxygène, nous aurions moitié moins d'oxygène, ce serait dramatique. Lors des crises du passé, il y a toujours eu des gagnants et des perdants. Et nous risquons de figurer parmi les perdants, puisque nous sommes une espèce fragile, car bien plus complexe qu'une bactérie ou qu'un organisme unicellulaire. Les microbes, eux, s'en sortent toujours, ils mutent et s'adaptent très rapidement, on le voit avec le coronavirus. Outre sa vitesse, l'autre originalité de la crise actuelle, c'est que pour la première fois, une espèce en est la cause, la notre, homo sapiens. Cela nous impose une responsabilité, pour faire évoluer nos comportements. La bonne nouvelle, c'est que nous connaissons les facteurs de pression, puisque c'est nous qui les exerçons : émission des GES provoquant le changement climatique, fragmentation et bétonisation des territoires, pollutions diverses, notamment avec les pesticides, surexploitation des ressources, déplacement d'espèces potentiellement invasives… Autant de facteurs qui s'accumulent et interagissent, mais sur lesquels nous pouvons agir. Individuellement, mais surtout collectivement. La nature est très résiliente, sous réserve que l'on n'ait pas dépassé certains seuils. En 1992 par exemple, on a mis un moratoire sur la pêche à la morue au large de Terre-Neuve, les stocks s'étant effondrés. Aujourd'hui, l'espèce n'est pas éteinte, mais les morues ne sont toujours pas revenues à cet endroit. Le moratoire a été pris trop tard, on avait déjà dépassé le seuil critique au-delà duquel l'écosystème avait basculé dans un autre équilibre. Dans le cas du thon rouge de Méditerranée, le moratoire a été pris à temps, on n'avait pas encore atteint le seuil, et le thon rouge revient. La prise de conscience progresse, mais beaucoup trop lentement. Même si les politiques parlent désormais de biodiversité, qu'ils semblent avoir compris les enjeux, tout ce qu'elle nous apporte, y compris économiquement, ils n'agissent pas vraiment. Si nous convertissons la biodiversité en argent, le Fonds monétaire international estime qu'une seule baleine apporte à la planète un bénéfice de 1,8 million d'euros en piégeant du carbone. La contribution des pollinisateurs est évaluée à 500 milliards d'euros par an, dont 2,3 à 5,3 milliards d'euros chaque année rien qu'en France. Au total, la biosphère offrirait à l'humanité l'équivalent de plusieurs milliers de milliards d'euros par an, via les services écosystémiques. La biodiversité, c'est notre patrimoine. Pour le moment, la sixième extinction n'est pas une fatalité, même si la pendule tourne vite, nous avons le temps de réagir. Nous avons encore notre avenir entre nos mains, il n'est pas trop tard, mais il ne faut surtout pas croire que la technologie nous sauvera. Concernant l'Amoc, c'est une autre histoire. Il est urgent que nous revoyions nos modèles à la lumière de ces observations afin d'estimer dans quelle mesure nous sommes sur le point de franchir ces seuils.
En attendant, les scientifiques préconisent de lutter contre le phénomène à la source, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre (GES). Nous avons notre avenir climatique entre nos mains, il ne tient qu’à nous de réduire drastiquement nos émissions, rapidement et de façon durable. Chaque tonne émise participe au réchauffement.**
Jerry J.Pelikan (Captain Blackbone) Blue Ocean Nation / World Citizen Climate Council (WCCC) / Conseil Citoyen Mondial du Climat (CCMC)
*Gaz à effet de serre
** Rapport IPCC/GIEC du 9 septembre 2021
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